J’hâtais le pas. Évidemment, pestais-je, je m’étais à nouveau perdu dans Cliver, et j'étais ainsi déjà en retard. Ce n’était pas bon pour mon image, d’autant que je m’apprêtais à faire ma première mission pour Wave Stream.

Cela faisait quatre jours que j’avais rejoint Wave Stream, et j’avais mis ce temps à contribution en apprenant l’histoire et les différentes règles de la guilde. Je m’étais également familiarisé avec Cliver, même si visiblement il restait du travail sur ce plan.

Une forte odeur d’iode assaillis mes narines. J’approchais de ma destination. Débouchant d’une ruelle, j’arrivais enfin sur le front de mer. J’aperçus les hauts mâts du navire sur lequel allait se dérouler ma première mission. Je me dirigeais donc vers lui. Hier, je m’étais pris ma première mission officielle. J’avais trouvé mon bonheur dans cette quête se déroulant entièrement en mer. Au moins, avais-je pensé, le milieu marin m’étais déjà familier. Bien-sûr, les 250 000 Jewels de récompense n’avaient fait qu’accroître ma motivation. J’avais donc décroché l’avis de mission, et l’avais apporté fièrement devant la barmaid, pour l’informer de mon choix.
J’avais été surpris d’apprendre qu’une autre personne, une certaine Aoi Egao souhaitait également faire cette mission. Cette mage, m’appris la barmaid, avait rejoint Wave Stream quelques jours avant moi. La barmaid ajouta qu’il était conseillé de faire sa première mission à plusieurs, et c’est ainsi que je m’étais retrouvé à faire équipe avec une parfaite inconnue.

J’arrivais enfin à hauteur du navire, une majestueuse caravelle à trois mâts, au gréement triangulaire. J’étais essoufflé, mais j’avais réussi à n’avoir que dix minutes de retard, un exploit compte tenu de mon désastreux sens de l’orientation dans cette fichue ville. Quelques marins s’affairaient sur le ponton d’amarrage, visiblement entrain de charger la cargaison en vue du voyage. La marée montante indiquait un départ imminent. C’est en bas de la passerelle d’accès au navire que j’aperçus pour la première fois ma coéquipière. Je la reconnus à la description que l’on m’en avait faite. C’était une jeune fille d’une quinzaine d’année, à la longue chevelure blonde attachée en couettes. Je me dirigeais donc vers elle. Arrivé à quelques mètres de la passerelle, je l’interpelai :


« Bonjour, je suis Arno Morlusenn, mage de Wave Stream. Je suppose que tu es Aoi Egao, ma coéquipière pour cette mission ? Enchanté de te rencontrer! »


J’accompagnais ma phrase d’un sourire un peu gêné. J’espérais qu’elle ne tiendrait pas rigueur de mon retard. Attendant sa réponse, je portai de nouveau mon regard sur l’imposant navire. J’allais enfin quitter la ville et retourner en mer. J’étais à la fois impatient et un peu effrayé de faire cette mission. J’avais confiance en mes capacités, mais je savais que je manquais d’expérience et de connaissances sur la magie. Je n’avais de surcroit jamais eu de partenaire auparavant, et je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était le travail en équipe. Interrompant mes pensées, je retournai mon attention vers ma nouvelle coéquipière.

"Oui c'est bien moi, Aoi Egao, Mage de Wave Stream également."

La jeune mage m’avait répondu d’un ton sec, traduisant son irritation. Elle reprît ensuite la parole, plus calmement.

"Contente de te rencontrer moi aussi."

Bon, au moins mon retard semblait oublié.

"Il faut y aller maintenant." Ajouta t-elle

Sans autres cérémonies, Aoi Egao se retourna et s’engagea sur la passerelle du navire. Sa hâte me surpris légèrement. Je m’attendais à une conversation plus longue pour cette première rencontre. Après tout, je ne connaissais toujours rien de ma coéquipière, et il me semblait important d’en apprendre plus sur ses capacités, afin de préparer les éventuelles rencontres auxquelles nous serions probablement confrontés. Après tout, le capitaine du navire ne nous offrirait certainement pas 250 000 Jewels s’il pensait que la traversée allait être de tout repos.

En parlant du capitaine, il semblait judicieux de ne pas le faire attendre. Après tout, c’était lui le client. La conversation avec ma coéquipière pouvait attendre, nous aurions tout le temps voulu une fois en pleine mer. Je m’engageais donc à mon tour sur la passerelle.
Le pont du navire était large,  et de nombreux marins y préparaient notre départ, escaladant les cordages pour déployer la voilure. Un doux vent de tribord nous poussait déjà vers le large. Les quelques matelots encore à quai à mon arrivée nous avaient suivis, après avoir désarrimé la caravelle. Ils étaient déjà en train d’enlever la passerelle.

Un homme, d’une quarantaine d’année, à l’allure fière, s’avança vers nous. Ses vêtements aux couleurs vives et finement brodés traduisaient un statut social élevé. Ses mains étaient néanmoins rugueuses, et son visage mat affichait un regard soucieux.

"Vous êtes les mages de Wave Stream n’est-ce pas ? Bienvenue à bord. Je suis le capitaine Smog. Les termes de la mission sont simples. Vous devez nous faire arriver sans encombre à Raijima. A part cela, vous pouvez profiter du voyage comme bon vous semble. Des cabines ont été préparées à votre  intention."


Il avait parlé d’un ton autoritaire, et semblait considérer la discussion finie. Je pris donc rapidement la parole.

"Peut-on savoir à quel genre de menace nous avons affaire ? Il serait bien de savoir à quoi nous attendre pour cette mission."

Le capitaine nous regarda tour à tour, comme pour savoir si nous étions à la hauteur de la mission qu’il nous confiait.

"Nous allons traverser la grande mer. Vous ne le savez peut-être pas, mais elle est réputée impraticable par beaucoup de marins. De nombreux dangers nous y guettent. Outre les tempêtes, les tourbillons et autres surprises du même genre, on peut y faire des rencontres peu recommandables. Or, notre cargaison pourrait attirer les convoitises. Je ne peux cependant pas vous en dire plus sur celle-ci. Préparez-vous à tout, et faites votre boulot."


Cette dernière remarque avait été prononcée d’un ton cinglant. Il n’aimait visiblement pas être interrogé. Je passais machinalement ma main dans mes cheveux. Je n’avais pas vraiment peur d’un éventuel navire pirate, il ne poserait pas de problème à moins qu’il ne compte un mage dans son équipage. En revanche, mes pouvoirs ne m’aideraient que très peu en cas de tempête. Je me rappelais subitement ce que m’avait dit mon père au sujet de la grande mer du nord. « C’est une mer maudite, mon fils. Ses eaux sont bien trop agitées pour pouvoir pêcher, et d’immenses tempêtes viennent y noyer les imprudents. Nul marin ne devrait s’y aventurer. ». Cette traversée risquait d’être plus compliquée que prévu.

Pendant que je réfléchissais aux implications des dires du capitaine, Egao Aoi s’était approchée du garde-corps. Elle y était maintenant accoudée, et observait la mer. Peut-être, pensais-je, n’était-elle pas familière avec les voyages en bateau. J’avais pour ma part eu la mer pour seul horizon pendant des années, ainsi la vue m’importait peu. Le temps était clément, et un puissant vent du sud-est venait claquer dans les voiles, nous propulsant rapidement vers notre destination.

Je laissais donc ma coéquipière à sa contemplation, et allait m’occuper d’un problème beaucoup plus pressant. J’avais faim. Je demandai mon chemin à un marin, qui m’indiqua ma cabine, ainsi que les cuisines. Le cuistot, fort aimable, m’offrit une sorte de ratatouille un peu trop cuite, accompagnée de tranches de pain. Ce n’était pas fameux, mais j’appréciais néanmoins ce plat chaud fait de légumes frais.
J’en profitais pour m’informer du temps de trajet, ne connaissant que bien peu les mers du Nord. Le cuisinier estimait que nous arriverions à la grande mer demain en fin de journée. En effet, notre caravelle était taillée pour la vitesse et le vent nous était favorable. Cela me laissait tout de même un peu de temps pour me reposer. Repu, je partis donc tout simplement faire une sieste dans ma cabine. De toute façon, sur un bateau, il n’y avait pas grand-chose à faire.

Je ne me décidais à retourner sur le pont qu’en fin d’après-midi. Reposé, je cherchais à m’occuper. Le métier de marin n’ayant plus de secrets pour moi, j’allais bien réussir à me rendre utile. Je devais aussi trouver le temps d’établir une stratégie avec ma coéquipière. Je n’aimais pas particulièrement les surprises. Il me semblait donc judicieux de préparer notre réaction en cas d’attaque pirate, par exemple. Enfin bon, peut-être me prenais-je trop la tête. J'étais aussi curieux d'en apprendre plus sur la jeune mage. Elle était quasiment la première mage que je rencontrais, et son parcours m'intriguait.

Arrivé sur le pont, je me mis donc à chercher ma coéquipière.

Je ne mis que quelques instants pour trouver la jeune mage. Elle m’avait vu la première et venait à ma rencontre.

"Euh... Arno, si je me souviens bien? Tu peux me dire ce qu'est ta magie? "


Elle avait parlé d’une voix calme et affichait un petit sourire tout à fait charmant.
Elle allait droit à l’essentiel et j’appréciais cela. Je comptais de toute façon lui poser la même question. Bon, je devais donc lui présenter ma magie… Passant ma main dans ma nuque, je réfléchis quelques instants, puis optais pour lui montrer un petit sort.

"D’accord, je vais te le montrer." Répondis-je.

Je fermais les yeux un instant et me concentrais. J’ouvris mes paumes de main et invoquais la brume. Je sentis la magie s’écouler lentement de mon corps par mes mains pour recouvrir progressivement tout le pont.

« Fog Magic : Kasumi »

Une mince nappe de brouillard recouvrit une partie du pont. Quelques marins tournèrent la tête, intrigués.

« Ma magie me permet d’invoquer et de contrôler de la brume. » expliquais-je « Elle me permet aussi de me transformer en brume pendant quelques instants, ce qui me permet d’éviter une attaque, par exemple. C’est une magie essentiellement défensive, qui permet d’aveugler ou de désorienter un ennemi. Je dois aussi pouvoir cacher notre bateau dans la brume en cas d’attaque pirate, mais cela me demanderais beaucoup d’énergie, ce navire est assez imposant.  »

Mon explication était succincte, mais je pensais avoir dit l’essentiel. Je me rendais soudain compte que j’avais laissé mon brouillard sur le pont pendant ma tirade, perturbant ainsi le travail des marins. Embarrassé, je rappelai ma magie, mettant ainsi fin à mon sort.

« Le petit problème de cette magie,  » ajoutais-je, « c’est qu’elle aveugle aussi bien les amis que les ennemis. A ton tour maintenant, quel est donc ton pouvoir ?»


Je me gardais bien de lui révéler que je n’avais jamais réfléchis au fait que ma magie perturbait également mes alliés auparavant. Il faut dire que je n’en avais jusqu’alors jamais eu.

Egao sourit. L’idée d’utiliser sa magie semblait lui faire plaisir.

"A mon tour de te montrer."

Sur ces mots, elle mit son poing droit sur sa paume gauche. L’air se refroidit brusquement autour d’elle. Je frissonnais légèrement.

"Ice make..."

Ma coéquipière mis soudainement ses mains sur le sol.

"Geyser!"

Des piques de glace sortirent du sol devant moi, et s’élevèrent jusqu'à atteindre environ ma taille. Ainsi, elle utilisait une magie de glace. Ma magie était assez faible contre la sienne. En effet, ma brume étant constituée de gouttelettes d’eau en suspension, il était aisé pour un mage de glace de tout gelé, y compris moi-même si je commettais l’imprudence de me transformer. J’étais bien content de l’avoir dans mon camp et non en face. Cela dit, pensais-je immédiatement, faire un duel contre elle pourrait être une bonne expérience. Il faudra que je lui en parle à la fin de cette mission.

Pris dans mes pensées, je n’avais pas remarqué que les cheveux d’Egao avaient perdu toute couleur. Je fus donc surpris, lorsqu’elle prit la parole, de découvrir sa chevelure blanche comme la neige. C’était là un curieux effet de sa magie.
 

"Et ma magie c'est Ice Make, une magie constructive de glace. Elle me permet de matérialiser ce que je souhaite en glace. C'est une magie qui se tourne plus vers l'offensive mais également vers la défensive. En cas d'attaque de pirate, ce sera utile. »  expliqua-t-elle.

Je connaissais cette magie de nom, mais la voir c’était autre chose. Comme à chaque fois que je me concentrais sur quelque chose, je me passai machinalement la main dans les cheveux. Il fallait réfléchir à un moyen de combattre ensemble. Je serais très gêné si je ne pouvais pas invoquer mon brouillard, mais si je le faisais j’allais aveugler tout le monde. Me contenter d’aveugler le bateau ennemi me priverait d’une partie de mes sorts, mais je n’avais pas trop le choix.

« C’est impressionnant » lui dis-je, « Je pense qu’en cas d’attaque, le plus simple est que je recouvre le bateau adverse de brume et que tu l’attaques pendant ce temps-là, ainsi il ne devrait pas pouvoir répliquer. Ce qui m’inquiète finalement, ce n’est pas tant une attaque pirate, mais plutôt les célèbres tempêtes de la grande mer. J’avoue que contre cela, je ne sais pas trop quoi faire. Je suppose qu’il faudra improviser. »

Je n’ajoutais rien. Je n’aimais de toute façon pas franchement les conversations trop longues, et j’avais déjà matière à réflexion. Je regardais autour de moi. Bien évidemment, il n’y avait rien à voir. L’océan nous entourait de toute part. Je me dis alors qu’après tout, je n’avais rien d’autre à faire, alors autant en apprendre un peu plus sur la jeune fille qui me faisait face.

« Cela fait longtemps que tu es mage ? Tu as l’air d’avoir déjà fait des missions, contrairement à moi. » lui demandais-je d’un ton que je voulais sympathique.

Egao mit un peu de temps avant de me répondre. Elle contemplait l’océan, pensive. Elle me répondit enfin.

"Mes parents sont mages d'une guilde pas très connue à Shirotsume donc j'ai appris la magie voulant être comme eux... Cela fait donc un bout de temps que je suis mage, oui. Depuis environ dix ans je crois."

Cela expliquait pourquoi elle me semblait expérimentée. Elle tourna la tête dans ma direction avant de poursuivre.

"Ce n'est pas la première fois que je fais des missions effectivement. J'étais à Thunder Light à Oak avant que la clandestinité les empare. Mais bon c'est bien la première fois que je monte sur un bateau. M’appris-t-elle en souriant.

Je ne connaissais rien de Thunder Light, il faut dire que je ne connaissais pas beaucoup de guildes. Egao semblait gênée de m’en parler. Serait-ce, comme elle le laissait supposer, une guilde devenue une guilde noire ? Je ne savais pas que cela était possible. Cela expliquait pourquoi elle venait de rejoindre Wave Stream. Il n’y avait pas le moindre intérêt à être dans une guilde illégale. C’était seulement plus de risques et d’ennuis pour un salaire pas forcément meilleur. Egao avait baissé la tête, elle semblait honteuse. Pour moi, cela ne changeait pas grand-chose. Je n’avais rien de particulier contre les guildes noires, je les trouvais juste inutile. Egao releva la tête et me demanda avec un petit sourire :

"Et pour toi? C'est alors ta première mission?"

Je me frottais la nuque avec ma main. Je n’aimais pas trop me rappeler mon passé, mais après tout c’était moi qui avait initié cette conversation.

« Oui, je n’avais jamais fait partie d’une guilde de mage auparavant. Je suis né dans une famille de marin, et je ne suis devenu un mage qu’à partir de mes quinze ans. J’ai appris la magie seul, grâce à un grimoire sur lequel j’ai mis la main. » lui répondis-je.

J’envisageais d’en rester là, puis me ravisais. La conversation était plaisante et je n’avais pas franchement de raisons de cacher mon passé.

« Pour tout dire, j’ai été enlevé par des pirates à l’âge de dix ans, et j’ai passé six ans de ma vie sur leur navire. J’ai heureusement pu m’emparer de mon livre sur la magie des brumes, et je m’en suis servie pour m’échapper. J’ai retrouvé mes parents, mais après ce que j’avais vécu la vie de marin ne m’attirait plus. J’ai donc tout quitté pour devenir mage. Wave Stream est ma première guilde. »

Ne trouvant pas d’autre sujet de conversation, je me tus. Je regardais les marins s’affairer dans les cordages, ajustant les voiles pour améliorer la prise au vent. C’est à ce moment que mon estomac émit un gargouillis. J’avais de nouveau faim. Les légumes, c’était bien beau, mais là j’avais besoin d’un truc qui cale. Le cuistot avait intérêt à avoir de la viande ! Je comptais aller le harceler de ce pas. Regardant à nouveau ma coéquipière, je repris la parole.

« Si cela ne te gêne pas, nous pourrons continuer notre conversation plus tard. J’aimerais bien aller me rassasier. »

Manger et discuter étaient vraiment nos seules occupations sur ce navire, pensais-je en soupirant. Mais bon, au moins pour l’instant tout était calme.

Accoudé au garde-corps du pont, je contemplais pensivement la mer calme quelques mètres en dessous de moi. Cette dernière était recouverte d’un léger brouillard. Après une nuit paisible, notre périple continuait lentement par cette fraiche matinée.
Encore un peu endormi, je fermais les yeux quelques instants pour écouter le bruit des vagues. Mais celui-ci fût perturbé par des sons métalliques. Je reconnus le tintement feutré de lames sorties de leurs fourreaux.

J’ouvris les yeux et saisis rapidement mes deux dagues. Quel idiot j’étais ! Je n’avais pas soupçonné une seule seconde que cette brume pouvait être produite par un mage adverse. Du coin de l’œil, j’aperçus une sinistre figure de proue sortir de la brume, à moins d’une encablure. Un navire émergea à sa suite, et son équipage était prêt au combat.

"Des pirates !" Criais-je pour donner l’alarme.

Une sombre rage naquit en moi. Je haïssais les pirates, et je haïssais encore plus le mage qui avait osé utiliser la brume contre moi. L’agitation avait gagné le pont, et les marins autour de moi sortaient des armes. La bataille était imminente.

« A l'attaque ! »

Le cri provenait du navire pirate, sur lequel l’équipage vociférait et criait sa soif de sang. Il ne se trouvait déjà plus qu’à une vingtaine de mètre, il était trop tard pour cacher notre propre navire dans la brume. Des grappins furent lancés vers nous, et l’abordage commença.
Je prenais rapidement ma décision. Je devais pouvoir invoquer mon brouillard sans gêner ma coéquipière, et je voulais me débarrasser de leurs mages. J’allais donc les chercher moi-même. Ainsi, lorsque les premiers pirates s’élancèrent sur notre pont, je sautais en sens inverse, et arrivais sur le leur. Plusieurs pirates étonnés perdirent quelques instants à me regarder bêtement.  Je me servis de ce temps pour invoquer ma magie.

«  Fog Magic : Kasumi »
Le brouillard qui nous enveloppait déjà s’épaissit, et engloba tout le navire adverse. Il était difficile de voir à plus de deux mètres. Me concentrant à nouveau, je fermais les yeux un instant.

«  Fog Magic : Hakkaku »
Les sons autour de moi s’atténuèrent, tandis que je me concentrais sur mon brouillard. Je détectais un premier pirate encore sur le pont, à quelques mètres devant moi. Raffermissant ma prise sur mes dagues, je me dirigeais discrètement dans sa direction, puis engageais le combat.

Le corps du pirate tomba mollement devant moi. C’était le douzième assaillant que je mettais à terre. La brume me donnait un avantage énorme, et malgré mon manque d’expérience je m’en sortais plutôt bien. Il faut dire que vaincre des ennemis aveuglés n’avait rien d’incroyable. Déjà, les bruits des combats s’amenuisaient.

Je perçus un mouvement dans la brume, à environ cinq mètres devant moi. Une autre cible, pensais-je. Il y avait cependant quelque chose d’anormal. Il marchait vers moi d’un pas sûr. Instinctivement, je transformais mon corps en brume. Ce reflexe me sauva la vie. Le large cimeterre du mage pirate me passa au travers, et continua sa course, déséquilibrant son manieur. Je profitais de cette ouverture pour attaquer à mon tour. Evidemment, mon coup passa également à travers mon adversaire. C’était bien ma veine, nous avions exactement la même magie ! Je bondis en arrière, hors de portée de mon opposant, et me dissimulais à nouveau dans la brume.

Je décidais alors de changer de tactique. Profitant du bref répit que j’avais obtenu en reculant, je lançais rapidement deux sorts.

« Fog Magic : Maboroshi »

Un clone de brume apparût sur ma position.

« Fog Magic : Jouhatsu »

Mon corps se transforma en brume et se dispersa. C’était là une sensation très étrange et pas franchement agréable, mais ce sort était ma meilleure arme. Mon clone se lança à l’attaque du mage. Je n’étais pas sûr de réussir à le leurrer, mais il me fallait juste un petit moment d’inattention pour frapper.

Au moment où le mage tourna la tête vers mon clone, je réapparus dans son dos et frappa violemment sa tête avec mes deux dagues. Le mage esquiva partiellement le coup. Il était un pirate aguerris, et bien qu’une légère estafilade ornait le haut de son crâne, il se reprit rapidement. Sans se retourner, il m’asséna un violant coup du pommeau de son cimeterre dans le ventre. Le souffle coupé, je réussis à attraper son arme. Faisant couler ma magie de mes doigts, je la répandis le long du cimeterre de mon adversaire.

« Fog Magic : Yuugiri »

L’arme s’évapora devant les yeux étonnés du mage. Profitant de cet instant de surprise, je plantai ma dague droite dans son flanc. Il s’effondra dans un bruit sourd. Ce mage était un redoutable combattant, mais il maitrisait visiblement moins bien sa magie que moi.
Je m’effondrais cependant à mon tour, et vomissais pitoyablement parterre. Après un tel coup au ventre, j’avais de la chance de ne pas avoir de côtes cassées. Reprenant difficilement mon souffle, je levais mon brouillard, et observais la scène.

Les derniers combats étaient en train de s’achever. Sur l’autre navire, Aoi Egao s’occupait des derniers assaillants. La jeune femme avait fait des merveilles. Je voyais d’ici des pirates gelés, ou à terre dans des positions grotesques après avoir glissés sur du verglas. Le calme revenait lentement sur les deux navires.

Me relevant péniblement, je me dirigeais vers le pont de notre navire.

A peine eussé-je rejoins le pont qu’Aoi accourut vers moi.

"Tout va bien, Arno? Attends je vais te soigner!"

J’allais lui dire que cela allait, après tout j’avais connu pire, mais avant que je ne puisse répondre ma coéquipière m’avait fait m’assoir. Je ne résistais pas. J’avais tout de même pris un sacré coup. Ravalant ma fierté mal placée, je la laissais m’aider.

Ses cheveux devinrent blanc, signe de l’utilisation de sa magie. Elle invoqua alors de la glace sur mon hématome. Je sursautais légèrement à ce contact. C’était la une utilisation bien pratique de sa magie. Je me passais nerveusement la main sur la nuque. Je n’avais pas l’habitude d’accepter l’aide de quelqu’un, et je m’en voulais d’avoir été blessé. Je reportais mon attention sur la jeune mage. Sa gentillesse me surprenait. Je devrais lui rendre la pareille un jour.

Tout était redevenu calme sur le reste du navire. Les quelques marins blessés avaient été emmené dans la cale pour être soignés. Parmi ceux encore sur le pont, certains nous lançaient des regards intrigués. Nous avions tout de même causé un gros raffut avec nos magies respectives.
Aoi arrêta sa magie. Ses longs cheveux noués en couette reprirent leur couleur d’origine, et l’air sembla se réchauffer légèrement. Elle me regarda dans les yeux.

« Merci pour ton aide. Ta magie est vraiment merveilleuse. » Lui dis-je. « Je te revaudrais cela si je le peux. »

Reprenant mon souffle encore un peu court, je regardais autour de moi. Le navire se remettait lentement à fonctionner. Déjà, le capitaine Smog beuglait des ordres à ses marins pour réorienter les voiles, et réparer les cordages abimés pendant l’assaut. Loin devant la proue, j’aperçus des nuages lourds, annonciateurs de pluies violentes. La terrible réputation du climat de la grande mer n’était pas usurpée. Cela dit, ce n’était pas mon problème. Nous avions fait notre travail, et c’était aux marins de gérer les intempéries.

Exténué et bien assis sur ma chaise, je commençais à m’assoupir. Un peu de repos me ferait le plus grand bien. Il était peu probable qu’il y ait d’autres problèmes avant d’atteindre Raijima. L’ile de la foudre n’était plus si loin.

Je fus réveillé de ma courte sieste par des trombes d’eau. Une terrible averse tombait sur le navire, et un vent terrible venant de bâbord nous faisait dangereusement tanguer. Le temps de mon somme, une puissante tempête s’était levée. La proue du navire transperçait des vagues de plus en plus hautes, et l’eau s’invitait sur le pont avant de s’écouler par les dalots.
Une grande agitation régnait sur le pont, tandis que les marins s’affairaient à stabiliser le navire.

Certains d’entre eux montaient tant bien que mal aux haubans afin de réduire la voilure. Notre navire vira jusqu’à être face au vent. J’aperçus alors le capitaine Smog à la barre. J’avais déjà entendu parler de cette manœuvre qui consistait à réduire nos déplacements grâce au vent, on appelait cela mettre à la cape si mes souvenirs était juste. Au moins le capitaine savait ce qu’il faisait.

J’étais trempé jusqu’aux os. De l’eau dégoulinait sur mon visage et brouillait ma vue. Je l’essuyais d’un revers de manche. Je vis alors passer un bout de tissu rouge, qui alla se perdre dans la mer. C’était l’un des rubans de ma coéquipière, qui venait d’arriver sur le pont.

Ne sachant pas comment me rendre utile, j’interpellais le second du navire, un homme brun d’une trentaine d’année.

« Comment puis-je aider ? » lui demandais-je en criant.

Je crus un instant qu’il ne m’avait pas entendu, tant le bruit des vagues et du vent était fort, mais il finit par me regarder. Me jaugeant de toute ma hauteur, il devait se demander si je pouvais vraiment être utile.

« Je suis marin » ajoutais-je, « J’ai passé ma vie sur un bateau ».

«Dans ce cas, vous pouvez nous aider à mettre la voile de misaine en panne, le vent est trop fort pour garder autant de prise, cela va nous faire chavirer. Il faut aussi arrimer toute la cargaison pour éviter de rouler. Si vous pouvez nous aider avec votre magie, c’est le moment.»

Sans attendre ma réponse, le second se dirigea en courant vers le gaillard avant, ou il se mit à crier des ordres aux marins déjà surchargés. Ma magie ne m’aiderait malheureusement pas dans cette situation, aussi décidais-je de replier la voile avant. Déjà, des marins s’en occupaient grâce à un cabestan. Je me joignais à eux et poussait de toutes mes forces.

J’entendis le capitaine Smog crier, mais les mots étaient noyés dans la tempête. Son appel fut immédiatement suivit par un bruit de craquement. Le navire s’inclina dangereusement à bâbord, me faisant chanceler. Je parvins miraculeusement à conserver l’équilibre, non sans recevoir des gerbes d’eau au passage.


Jetant des coups d’œil autour de moi, je cherchais ce qui avait bien pu se passer. Ma vue était troublée par l’eau ruisselant sur mon visage. Il me fallut un moment avant de localiser la source du problème.



La barre du vaisseau avait lâchée. Le gouvernail tournait à gauche. Si cela continuait, nous allions chavirer. C’est Aoi qui nous tira de ce mauvais pas.  Elle se trouvait sur le gaillard arrière. Je vis ses cheveux devenir blanc tandis qu’elle s’avançait vers la barre brisée. Une copie de l’objet, fait de glace, vint la remplacer. La magie de construction était décidément bien pratique. Elle tenta ensuite de redresser le navire, avec l’aide du navigateur. Après de nombreux efforts, le navire retourna à sa ligne de flottaison habituelle.


« C’est qu’elle est douée la p’tite ! » s’exclama un marin.


Plusieurs matelots acquiescèrent avant de se remettre au travail. Nous n’étions pas encore tirés d’affaire. Nous bataillèrent encore de longues heures avant qu’enfin le vent ne se calme.
L’équipage était exténué, mais nous avions survécut et le bateau semblait ne pas avoir subi trop de dommages. Le capitaine ordonna de mettre le navire en panne le temps de retrouver le cap. Ce ne fût pas nécessaire. Un lointain grondement de tonnerre retenti. Là, à une quinzaine de milles nautiques devant nous, se dressait l’étrange île de Raijima, sur laquelle semblait se concentrer le gros de la tempête déclinante.



Je laissais échapper un rire joyeux, bientôt repris par des exclamations des marins, évacuant la tension accumulée le long du voyage. Nous étions tous trempés jusqu’aux os, mais la vue de notre objectif nous revigorait. Bien sûr, il restait à affronter le retour, mais chaque chose en son temps.